Les Camisards et les Aigladines

La guerre des camisards

"Mémoires sur la guerre des Camisards" (Les Presses du Languedoc).

 

Abraham Mazel, Elie Marion et le hameau des Aigladines

 

Cet ouvrage regroupe les témoignages de trois leaders de la révolte des camisards : Abraham Mazel (1678-1710), Elie Marion (1679-1713) - tous deux prophètes - et Jacques Bonbounoux (1673-1755). Ce sont trois relations écrites vers 1710 pour les deux premières et en 1730 pour la troisième. Ces trois textes nous font vivre intensément les combats et la résistances des protestants à travers les inspirations de certains, les assemblées, les prières, les combats souvent violents, la répression (terrible), les déplacements de villages en hameaux cévenols jusqu’à la plaine languedocienne, mais aussi les complots, les négociations avec le pouvoir royal. 
 

J’ai choisi d’aborder ce livre autour du hameau des Aigladines. En effet, 2 des 3 relations (celles d’Abraham Mazel et de Elie Marion) y font souvent référence. Quels évènements mineurs ou majeurs a connu ce hameau pendant la révolte des Camisards (à partir de 1702) ?

Abraham Mazel et les Aigladines

Référence au hameau des Aigladines n°1 - Nous découvrons d’abord que Abraham Mazel a passé quelques jours aux Aigladines : 
 

LA RETRAITE D’ABRAHAM MAZEL
Dans la relation d’ Abraham Mazel, nous lisons, page 23 :
"Pendant les six ou sept jours de la retraite dont j’ai parlé, je me tins secrètement chez un ami au village des Aigladines, où je reçus un message de la part de Cavallier et Rolland pour me dire qu’ils venoient nous joindre avec soixante hommes ; que je leur fisse scavoir l’endroit ou ils poivoient me trouver. Je leur donnai rendez-vous tout près dudit village, en un endroit appellé La Cam d’Aigladines, où ils ne manquèrent pas de se rendre".

Quelques précisions sur le contexte : nous sommes fin octobre 1702, en pleine période de révolte, pendant laquelle les batailles se succèdent. Une troupe d’insurgés protestants, avec Laporte à leur tête (un parent de Pierre Laporte, surnommé Rolland, beaucoup plus connu), et à laquelle Abraham Mazel fait parti, sont poursuivis par le capitaine Poul et ses troupes. Les jours qui précèdent cette retraite aux Aigladines, de nombreuses batailles et assemblées se succèdent. Abraham Mazel est présent lors des évènements suivants :

- le 8 septembre, la troupe entre au Collet-de-Dèze (profitant d’une sortie de lagarnison), se firt donner des vivres et prit des armes,
- le 11, à Champdomergue, Poul les attaque, perte de 4 hommes (mais 17 pertes pour Poul),
- des églises brulés mi-septembre (St-privat de Valongue, St-Hilaire de Lavit puis plustard du Pompidou, de Molezon, Saumane etc.)
- après une attaque de Poul vers les Plantiers, la troupe se dirige vers St-Paul La Coste. Dans ce vilage, ils apprennet que Serres (à la tête d’une vingtaine de personnes) souhaitent rencontrer Abraham et ses hommes. Le rendez-vous a lieu au bois de Malabouisse : le bois de Malabouisse se trouve au dessus des Aigladines. Surpris par les troupes du roi en ce lieu, ils retournent à Saint-Paul la Coste et brulent l’église, 
- d’autres églises seront brulées les jours qui suivent dont celle de St Julien d’Arpaon (le 18 octobre), puis, le lendemain, celle de St-Laurent-de-Trêves. 
- puis, la troupe se déplace vers St-André-de-Valborgne : Abraham nous apprend qu’ils "pleut àverse, tellement que nous nous égarâmes de notre chemin dans un endroit apppelé La Cam de l’Espitalet (l’Hospitalet)". A cette époque, il yavait un cabaret à l’Espitalet et ils s’y arrêterent une heure. Puis, ils s’approchent vers St-André-de-Valborgne, où ils firent une assemblée.

La perte de Laporte, le chef de la troupe de Mazel, semble accélerer la retraite d’Abraham

- Le lendemain, après une bataille contre Poul et la perte de leur chef, Laporte, ils se déplacent vers le Pompidou (au nombre de 80), toujours poursuivis de tout côté. Une bataille s’engage au Pompidou, Poul les pousuivit toute la nuit, mais, nous apprend Abraham, "il plût et il neigeât tout ensemble" (nous sommes fin octobre seulement).
- ensuite, le lendemain, Poul et ses troupes se déplacèrent au Mont-Aigoual mais Abraham et les siens s’étaient retirés d’un autre côté.
- plus tard, Abraham Mazel a une inspiration : " J’eus, après cela, une inspiration par laquelle il me feüt dit que je pouvais laisser retirer mes frères chacun chez soi, et me retirer moi-même quelque part pandant six, ou sept jours (...) et de nous rassembler ensuitte dans un endroit appellé le Plan de Las Fourques". Pendant qu’une partie de la troupe ira à Saint-Paul-la Coste d’où la plupart sont originaires, Abraham ira plus loin, aux Aigladines, près de son hameau d’origine (vers Saint-Jean-du-Gard). Il semblerait que c’est la perte de leur chef qui serait à l’origine de cette dispersion des troupes et de la retraite de Abraham.

La relation d’Abraham Mazel nous indique donc plusieurs raisons qui font qu’il arrive aux Aigladines autour du 15 novembre 1702 :
- il est né pas loin de ce hameau,
- il a une inspiration,
- la troupe auquel il appartient a perdu son chef, et certainement qu’un peu de recul est le bienvenue.

Quel ami ?
Alors, quel est cet ami chez qui Abraham se tient secrètement aux Aigladines ? Abraham ne le précise pas dans sa relation.

Que signifie le message de Cavallier et Rolland ? Très certainement une volonté d’unifier les troupes protestantes, celle d’Abraham étant petite.

Qu’est-ce que la Cam d’Aigladines ? "Cam" est une contraction de "cauma" ou "calma" qui veut dire "plateau rocheux". En effet, la Cam d’Aigladines se trouvent sur un plateau au-dessus du hameau.

En résumé, cette première référence au hameau des Aigladines dans la relation d’Abraham Mazel, n’est pas anodine. Sans être un évènement, nous pouvons considérer que la retraite d’Abraham Mazel au sein de ce hameau est une période de transition :
- entre la dispersion d’une troupe (à laquelle appartient Abraham) qui vient de perdre son chef,
- un message de Cavallier et Rolland qui porte l’espoir d’un nouveau regroupement et d’une unification des troupes.
- un rendez-vous avec Rolland et Cavallier à la Cam d’Aigladines.

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Référence au hameau des Aigladines n°2 - Abraham Mazel de retour aux Aigladines pour se reposer d’une maladie, pendant 15 jours :

Après sa retraite de 6 jours, il y eu une autre bataille à Mandajors puis une rencontre avec Joini (à la tête de 80 hommes), près de St-Jean-de-Gardonnenque, encore des églises brûlées le 21 novembre (Sérignac , ...), des assemblées vers Nîmes. Puis, début décembre, retour du côté de Générargues. Selon ce que nous apprend Abraham Mazel, il semble que beaucoup d’attroupés sont malades (Mazel parle "d’incommodation"). Nous sommes aux portes de l’hiver et, en lisant le témoignage de Mazel tel qu’il est résumé ici, nous nous rendons compte à quel point les déplacements sont nombreux des Cévennes à la plaine.

A Générargues, les attroupés décident de se séparer (rappelons qu’il y a deux troupes unifiées) car le fait de rester ensemble leur faisait courir des risques, nous apprend Mazel (risque d’exposer ceux qui leur portaient à manger notamment). Après avoir brulé l’église de Mialet (10 décembre), Rolland resta aux environs de cette commune (il a la rougeole) et Cavaillier retourne dans la plaine.

Et que fit Abraham Mazel ? Il se retira à nouveau aux Aigladines, car, nous dit-il, il est malade, lui aussi. Il y reste donc 15 jours. 
Quand ? Il semble que nous sommes autour du 10 décembre 1702.
Chez qui ? Nous ne savons toujours pas. Le même ami que lors de sa première retraite ?
Pourquoi ? Pour soigner sa maladie. Il semble que ce soit la raison essentielle. Rhume ? Roujole ?...

Ce deuxième temps aux Aigladines présente-t-il un intérêt ? Encore une fois, nous ne sommes pas en présence d’un évènement majeur de cette révolte, cependant Abraham nous apprend que Rolland, soigné, vint le voir aux Aigladines pour prendre de nouvelles décisions quant à la suite de la révolte.

Et 4 ou 5 jours après, avec 60 hommes "bien armés", ils rejoignirent Cavalier près de Durfort où ils se trouvèrent plus de 100 hommes. Le lendemain, 40 nouveaux rejoignirent les attroupés. La guerre continue : recherche de vivres, église de Durfort brûlée, avant un départ vers Sauve.

Quelle conclusion pouvons-nous tirer de ce deuxième épisode ?

Ce retour aux Aigladines ressemble finalement à la première retraite de Mazel :
- une dispersion des troupes à Générargues, sur fond de maladie,
- une deuxième "retraite" aux Aigladines (mais Mazel n’emploie pas ce terme ici),
- Rolland vient à nouveau voir Mazel aux Aigladines pour réfléchier aux actions futures,
- puis une nouvelle unification des troupes qui se retrouvent dans la plaine.

Pour la deuxième fois, le hameau des Aigladines se trouve donc être le lieu de repos d’Abraham Mazel mais surtout l’endroit où la suite de la révolte se discute, où finalement l’action reprend (Sauve, Quissac, Anduze...).

 

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Référence au hameau des Aigladines n°3 : Abraham Mazel et le Cadet La Forest

La troisième référence aux Aigladines dans la relation d’Abraham Mazel est indirecte et succincte. On la retrouve dans les annotations (page 33). 
Nous sommes entre janvier et avril 1703, Mazel décide de prendre à nouveau une retraite (il nous apprend qu’il lui "feüt ordonné par inspiration de quitter la troupe"). Nous sommes dans le chapitre III de la relation et Mazel raconte ce qui s’est passé pendant sa retraite (la sous-évaluation de l’importance de la guerre des Cévennes par le pouvoir Royal, la mort du capitaine Poul - Mazel précise que c’est après cette mort que l’on commença à les appeller Camisards - , l’émergence de nouvelles troupes...).

Mazel nous apprend alors qu’il était parfois défendu aux inspirés de porter les armes pendant les attaques, et que ceux qui avaient eu l’ordre (par inspiration) de ne pas porter les armes mais qui, pendant les combats, oubliant cet ordre, voulaient les utiliser, les armes ne voulaient alors jamais prendre feu. C’est ce qui arriva à Rolland, qui avait reçu un tel ordre lors d’une bataille, et qui, voulant braver cet ordre, "il ne lui feüt possible de faire prendre feu à ses pistolets ni à son mousquet, lesquels il jetta par terre, et à coups de pierre assomma plusieurs". 

Mazel nous indique alors qu’il arriva la même aventure au cadet LaForest "qui aussi estoit fort brave [et qui ] fit merveilles dans cette occasion : il tua sept soldats pour sa part".

Analyse : c’est la première fois que Abraham Mazel fait référence au cadet Laforest. Pourtant, c’est un personnage très connu de cette époque.

Une annotation nous précise qu’il s’agit en fait de Jacques Savin, dit Cadet La Forest et qui était d’une famille de soldats qui habitait à La Forêt, près d’Aigladines (Mialet). Le père, ancien officier de cavalerie, y était retiré vers 1688.

Cette référence à Jacques Savin est intéressante puisqu’il s’agit d’un personnage qui n’était pas inspiré mais qui a marqué cette époque. Surtout, les Savin sont une famille influente (voir précisions prochainement) du "quartier" d’Aigladines (puisque le mas La Forêt se trouve en-dessous le hameau, à peu près 20 minutes à pied).

Jacques Savin est donc certainement le personnage provenant des Aigladines (et de son proche alentour) le plus connu.

Il n’y a plus d’autres références aux Aigladines de la part d’Abraham Mazel.

Interessons-nous maintenant Elie Marion.

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Elie Marion et les Aigladines

Référence au hameau des Aigadines n°1 : une nouvelles stratégie de réunification

Nous sommes en septembre 1704, époque où les Camisards étaient en difficulté et où le pouvoir royal usait de "sollicitation et de douceur" pour convaincre les "rebelles" d’arrêter le combat.  C’était Mr le Marchal qui avait pour objectif de négocier, pendant que ses troupes "exerçoient (...) les plus grandes cruautés sur ceux qui tomboient entre leurs mains" (gibets, tortures, roües...). Marion décrit des troupes protestantes désemparées et commence à se dire qu’un "mauvais accommodement valoit encore mieux qu’une entière défaite et qu’une totale destruction"., mais n’arrive pas à prendre la décision. C’est Jouani, qui, le premier, "du cotté de Genouillac" alla faire ses propositions au Marchal de Villars. Aussitôt, Marion partit convaincre Jouani de ne pas le faire, laissant sa troupe à La  Rose et Abraham Mazel. Jouani accepta de stopper ses vues d’aller rencontrer le Marchal.
Les troupes décidèrent de se réunir pour mieux résister. Les troupes devaient se retrouver à Saint-Romans.

==> Mais, nous apprend Marion, "nous feümes aussi à Aigladines pour le dire au Cadet La Forest "qui acquiessa de même à ce que nous avions fait". Encore une fois, c’est autour de stratégie de réunifications que les principaux personnages de la résistance se retrouvent aux Aigladines !!!

 

Référence au hameau des Aigladines n°2 : une capitulation en demi-teinte

Et puis vint le temps de la capitulation.

Entre le 6 et le 17 octobre 1704, Marion décide d’aller se rendre à Mr de Lalande à St-Germain, qui « avoit plein pouvoir de Mr le Marchal de Villars comme ce dernier l’avoit du Roy » . Mr de Lalande lui dit de faire ses demandes en lui promettant que le pardon de Sa Majesté était général .

Marion fit les demandes suivantes :

-          Qu’il leur « feût permis  de faire l’exercice public de (leur) religion » : mais Lalande lui  répondit que le Roy ne  voulait pas d’exercice public  de religion dans son Riyaume,

-          Que les galériens furent libérés : refus également.

D’autres articles durent accordés (regroupés dans les « articles de la capitulation »).

Exemples :

1/ « Premièrement, le pardon général de tout ce qui avoit esté fait pendant la guerre… »
2/ Qu’on ne se seroit plus molestés surle chapitre de la religion. Qu’on ne forceroit plu spersonne d’aller à la messe »
8/ « Que (le 8 octobre), nous et notre troupe nous trouverions à St-Jean-de-Gardonnenques où le Marquis de Lalande se rendrait et que nous remettrions nos armes entre ses mains.  
etc.

En tout, 8 articles.

Lalande n’étai pas sûr que Marion serait suivi par ses troupes (il lui rappela que Cavalier, ayant aussi traité avec lui, ce dernier n’avait pas été suivi). Marion lui répondu qu’il pouvait être « assuré de l’entier acquiessement de toutes les troupe » puisqu’il venait selon leurs sollicitations. Il était donc venu avec des précautions et sûr qu’il serait suivi par sa troupe. En particulier, Marion garantissait que le Cadet la Forest capitulerait aussi.

Marion refusa ensuite les récompenses qui étaient réservées aux chefs camisards, malgré l’insistence de Mr de Lalande.

Ensuite, un passeport fut donné à Marion portant ordre aux troupes du Roy de le laisser passer pour pouvoir faire venir toute la troupe le 8 octobre à St-Jean-de-Gardonnenques.

Vers 6 heures du soir, nous sommes toujours le 6 octobre, Marion part  de St-Germainpour joindre la troupe qui était aux Aigladines. Ils y arrivèrent à trois heures de nuit.  Dès le « point du jour », donc le 7 octobre, Marion rassemble tout le monde et fait le rapport de l’entrevue avec Mr de Lalande.  Abraham mazel « fut saisi de l’Esprit » et dir « Mes enfants, ne vous attristés point. Je permets que vous cédiez quelque chose au Diable. Ne craignez point que j’abandonne mon œuvre. Je rassemblera bientôt mes enfans ». Marion aussi dit qu’il eut des inspirations en ce sens. Du coup, toute la troupe fut rassurée par rapport au traité avec Mr de Lalande et tous décidèrent qu’ils allaient rentrer chez eux. « Et que ceux qui avoint des armes au-delà du mousquet qu’il falloit rendre, les cacheroint pour les reprendre quand l’ordre en seroit donné ».

Le 7, à 4 heures du soir, ils entraient à St-Jean-de-Garsdonnenque pour se rendre, dans la cour du Château, où Mr de Lalande « estoit logé ».  Un certificat leur fut donné. Chacun rendit ses armes, et se fit loger dans St-Jean comme troupes du Roy. On remplit les certificats la nuit.  Le Cadet de la Forest vint quelques heures après avec sa troupe.

Enfin, il fut demandé à Marion et au Cadet La Forest d’aller chercher un autre chef camisard (Salles) et sa troupe pour qu’ils se rendent.  Et c’est aussi vers les Aigladines (dans le bois de Malabouisse) qu’ils rencontrèrent une partie de cette troupe. Et les discussions s’engagèrent pour leur faire accepte la capitulation.

 

Encore une fois cette période qui va du 6 au 8 octobre inscrit le hameau des Aigladines comme un lieu où des décisions importantes se prennent. Il s’agit ici, certes de décider de capituler mais de préparer la suite quand « l’Esprit » le décidera. Nous remarquons bien qu’une partie des armes ne sera pas rendue. Aux Aigladines, on accepte donc la capitulation, pour se reprendre, mais, dans les esprits , le combat continue.   

 

 

Eygladines ou Aigladines ?

A-t-on toujours écrit "Les Aigladines" ?

Cet acte de décés de 1686 concernant Jean Laporte "dit le Cadet d'Eygladines" sème le doute... 

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